Henri est passé nous voir. A la salle blanche il y a bien deux semaines de cela. Henri, c’est l’empléiadeur officiel de Céline. Un obsessionnel. L’occasion : " lettres " de Céline fraichement empléiadées. 2034 pages de correspondances. Pas moins. Assemblées une à une, à la main, classées, agencées, comme il faut. Dans leurs contextes. Avec amour. Un travail de dingue. Henri est un dingue. " Et encore, ce n’est qu’une part connue. D’autres lettres circulent encore dans la nature " nous a prévenu Henri. Nous, une trentaine à l’écouter religieusement, à peine assez nombreux pour maitriser ce dingue. Henri est inépuisable sur Céline. Un amoureux dingue de la poétique de Louis. Et Henri nous a rappelé qu’il était fin prêt. Prêt au grand déballage. Le fameux recueil des œuvres " polémiques " de Louis. Henri nous énumère au moins six ou sept bonnes raisons de les publier. La plus importante d’entre elles à mon avis est que le boulot a déjà été abattu. Et qu’il ne faut pas gâcher. Il n’y a plus qu’à envoyer sous presse. Le recueil s’articulerait ainsi : on commencerait par Mea Culpa, suivraient bagatelles, l’école des cadavres et les beaux draps; à l’agité du bocal de finir en apothéose. Il ne s’agit que de quelques derniers petits obstacles juridiques à régler.
N’étant pas un polémiste de nature, j’ai attendu que la séance soit levée pour prendre Henri à part 5 petites minutes. " Lorsque vous parlez des derniers obstacles juridiques à lever, n’est-ce pas la mort de Lucette Almonzor que vous évoquez et que vous attendez avec impatience, elle qui interdit la réédition des écrits polémiques de Louis? " lui lançais-je prêt à défendre la veuve et l’orphelin. " Pourquoi tenez-vous tant à cette réédition à laquelle Céline s’opposait de son vivant? N’est-ce pas trahir l’auteur que de ne pas respecter sa volonté? " insistais-je lourdement la larme à l’oeil.
Bigre! Ce bougre d’Henri pas gêné me glisse que " oui, la mort de Lucette serait une sorte de délivrance. De premier pas. Quoique pas nécessairement suffisant. Lucette pourrait transmettre ses droits ... ". Encore bien décidé, Henri m’affirme que " Céline s’opposait à la réédition de ses pamphlets pour sa tranquillité, pour ne plus en être inquiété. De plus, il n’est pas sûr que ces pamphlets deviennent un succès de librairie. N’y voyez pas d’intention mercantile. " Mon air hagard a eu raison de son air pas gêné. Nous nous sommes quittés copains tout de même quand il m’a entendu lancer au brave type qui animait la petite rencontre avec lui et qui repassait par là : " Le Céline de Sollers dont vous avez tant chanté les louanges tout à l'heure est une véritable farce niaiseuse imbuvable et brouillonne. L’avez-vous bien lu ? ". Le sourire connaisseur d’Henri ne plaidait pas davantage pour ce Sollers.